Opéra en trois actes, livret de Francesco Maria Piave, d’après la pièce d’Alexandre Dumas fils, La Dame aux camélias.

Pour les fêtes de fin d’année, l’Opéra de Marseille ne nous présentait, certes pas, l’ouvrage lyrique le plus joyeux, mais certainement l’opéra le plus joué de par le monde. Et la magie de
La Traviata opère toujours et remplit les salles immanquablement. Cette production, déjà programmée en 2014 n’a pas pris une ride tant elle est juste et sans aucun excès. Il faut dire que
Renée Auphan, artiste lyrique puis directrice de théâtres d’opéras – dont celui de Marseille de 2002 à 2008 – nous propose toujours des mises en scène d’une rare élégance, toujours au plus près du texte et dans un grand respect de la musique et des chanteurs. Des boiseries en bois de loupe, hautes fenêtres et cheminées annoncent un intérieur cossu mais sans ostentation.
Christine Marest a imaginé les décors qui restent sobres et néanmoins élégants. De la maison de campagne nous ne voyons que le petit salon-boudoir où le joli canapé rose stylisé fait ressortir le côté raffiné de
Violetta, de grands vases remplis de fleurs évoquant la campagne environnante. Dépouillée est sans doute la chambre de l’acte III, et pourtant… un grand lit en fond de scène comme posé sur une estrade est en partie occulté par un long rideau blanc drapé. Toute la

vie de
Violetta est évoquée ici, un sofa sombre, une cheminée et une haute fenêtre. Sobre bien sûr, mais habité par l’élégance et la générosité de coeur de
Violetta. Les atmosphères sont rendues par les lumières conçues par
Roberto Venturi. Toujours justes et appropriées à l’action et aux sentiments. Tamisées pour la réception, s’assombrissant avec le drame sous-jacent de la partie de cartes et carrément plus sombres au dernier acte dans cette chambre où seul le lit est éclairé,
Violetta et
Alfredo se détachant du fond noir dans un halo lumineux. Les éclairages font aussi ressortir les somptueuses robes créées par
Katia Duflot. Tons pastel ou feuilles mortes, les tissus en font ressortir la richesse. Seyante, admirablement coupée la robe de
Violetta dont l’organdi blanc reflète la vie à la campagne, mais très sobre et élégante la robe en satin clair recouverte d’une dentelle en tulle noir portée pour une réception qui ne peut que mal finir. Renée Auphan laisse évoluer les chanteurs avec aisance sans déplacements intempestifs, laissant les sentiments s’exprimer avec la musique. Les chanteurs ont la

jeunesse des rôles et nous découvrons avec plaisir la soprano australienne
Nicole Car, le physique et le charme du rôle. Si la voix paraît un peu tendue au premier acte, avec une transposition que d’autres chanteuses ont pratiquée avant elle, la soprano entre tout à fait dans le personnage dès le deuxième acte pour nous donner une version très émouvante de
Violetta. Sa voix s’arrondit et passe sans forcer jusque dans des
pianissimi extrêmes. Très à l’aise vocalement dans ces tessitures qui lui vont bien, elle l’est aussi scéniquement et son affrontement avec
Germont est un modèle du genre. Elle possède une intelligence du chant qui lui permet de moduler sa voix pour des duos avec
Alfredo ou
Germont chantés dans une même esthétique musicale. Charme et sincérité font ressortir les accents dramatiques et “
Amami Alfredo” “
Gran Dio morir si giovine” ou son “
Addio del passato” sont des plus touchants. Une belle interprétation qui sera ovationnée.
Enea Scala n’est pas un inconnu pour le public marseillais qui se souvient encore de son
Rodrigo (La Donna del lago). C’est dire si les aigus d’
Alfredo passent sans

forcer. Mais, au delà de cette technique sans faille, c’est la rondeur du timbre et la musicalité qui nous enchantent, et l’intelligence musicale fat ici merveille. Passant de la jeunesse fougueuse à une détresse profonde qui le rend odieux, tout en essayant de contenir son chagrin sincère au dernier acte, Enea Scala nous fait vibrer, nous transporte dans ses élans amoureux. Et c’est sans doute la sincérité vocale du ténor italien qui nous touche le plus dans des nuances justes qui font ressortir l’homogénéité de sa voix. Une voix percutante sans dureté que l’on a plaisir à écouter.
Etienne Dupuis est un baryton canadien qui excelle dans chaque rôle qu’il chante, aussi différents soient-ils. Il a su ici, faire de
Germont un rôle de premier plan. Mari de Nicole Car à la ville, il est ici le père d’
Alfredo. Est-ce cette entente, cette proximité qui transparaissent dans cet échange vocal ? Toujours est-il que les deux voix s’accordent, que les inflexions s’unissent dans des sonorités qui se fondent. Il faut dire que le velouté, la rondeur et la chaleur du timbre de la voix d’Etienne Dupuis rendent chacune de ses phrases mélodieuse. Des nuances infimes, mais aussi une grande autorité vocale font que l’on s’attache plus à son chant qu’à la personnalité du personnage peu sympathique au demeurant. Une diction et une projection parfaites

font ressortir la beauté de la voix. Etienne Dupuis est un
Germont magistral. Nous retrouvons
Jean-Marie Delpas (
Baron Douphol), dont la voix bien placée et l’autorité naturelle donnent allure et présence au baron, ainsi que
Carl Ghazarossian Gastone, très à l’aise vocalement et scéniquement. Très à l’aise aussi
Laurence Janot pour une
Flora séductrice à la voix percutante. Sans oublier l’
Annina de
Carine Séchaye, bien dans son rôle, ni
Frédéric Cornille,
Antoine Garcin,
Florent Leroux-Roche,
Wladimir-Jean-Irénée Bouckaert et
Tomasz Hajok respectivement
Marquis d’Obigny, Docteur Grenvil, le Commissionnaire, Giuseppe et un
Domestique. Il faut aussi noter le grand investissement vocal et scénique du Choeur qui fait montre d’un ensemble parfait dans les attaques et d’un jeu fluide dans les déplacements. Un grand bravo à leur chef
Emmanuel Trenque. Mais cette Traviata n’aurait jamais pu être aussi émouvante sans la sensibilité du maestro
Nader Abbassi. Très aimé du public et des musiciens, il met ici son talent au service de la musique. Dirigeant sans baguette, il fait ressortir chaque accent, de joie, d’espoir, de douleur sans jamais prendre le pas sur la partition, portant les chanteurs à leur meilleur, faisant sonner les archets de l’orchestre sur un seul crin dans un superbe prélude, tout en respectant les respirations et les intensions du compositeur pour donner à l’ensemble une unité rarement égalée. Nader Abbassi a su trouver les inflexions justes sans se départir de cette élégance qui lui est propre. Elégance dont cette production est imprégnée. De longs, très longs applaudissements qui n’atténuent pas l’émotion.
Photo Christian Dresse