Opéra Buffa en 4 actes, livret de Lorenzo Da Ponte, d’après la comédie de Beaumarchais, La Folle journée ou le Mariage de Figaro

A l’Opéra de Marseille nous étions conviés, en cette soirée du 26 mars, à des Noces tout en délicatesse. Une production des
Nozze di Figaro que les amateurs de Mozart n’ont pas voulu manquer. Mozart, en collaboration avec son nouveau librettiste
Lorenzo Da Ponte, s’inspirant de
La Folle journée ou le Mariage de Figaro de Beaumarchais, compose Les
Nozze de Figaro. Etant une critique de la société, Mozart, tout comme Beaumarchais en France, aura quelques difficultés à obtenir l’autorisation de faire jouer son opéra.
Vincent Boussard nous propose une version originale, avec un parti pris baroque qui séduit. Il y a chez Mozart un côté plus dramatique que chez Beaumarchais que l’on perçoit aisément ici malgré cette légèreté qui transparaît toujours dans sa musique. Le succès de cette production tient sans doute à l’alchimie (décors, costumes et lumières) que le metteur en scène exploite avec sa sensibilité. Pas de grands décors, conçus par
Vincent Lemaire, mais une grande pièce tapissée d’un papier à motifs qui sert d’écrin à un cadre posé légèrement de travers qui nous transporte chez la
Comtesse Almaviva . Cette pièce, destinée à
Susanna et
Figaro est encombrée d’objets hétéroclites qui, loin d’encombrer le regard, font un clin d’oeil à la confusion des sentiments qui règne dans cette maison. Le parti pris des couleurs sombres où le noir domine donne cet effet baroque, étrange et de bon aloi avec un grand sens du détail. Clin d’oeil aussi à ce siècle des lumières, une projection d’instruments scientifiques en usage à cette époque. Sur une sorte de promenoir en hauteur, le Choeur évolue participant à l’action sans jamais s’y introduire vraiment. Sombre, certes, mais jamais pesant grâce aux lumières de
Bertrand Couderc qui donnent du relief, changent les couleurs de la

tapisserie murale, ou animent en transparence les effets de la végétation projetée en vidéo nous immergeant dans un tableau de Watteau. Sombres ou carrément noirs, les costumes imaginés par Vincent Boussard mélangent certains costumes contemporains à de somptueuses robes très XVIIIe, en tissu ou même en papier pour les dames du Choeur qui portent de monumentales perruques du meilleur effet. Ce visuel fait preuve d’une grande recherche en présentant sur le promenoir quelques dames telles des ombres chinoises qui se découpent sur un fond clair. Cette unité de style se retrouve dans l’expression vocale grâce à un plateau homogène. C’est toujours avec un grand plaisir que nous retrouvons
Patrizia Ciofi. Plus habituée au rôle de
Susanna elle est ici, en prise de rôle, une superbe
Comtesse. Humaine, sensible mais affirmée aussi ; elle le dit elle même : “Au fil du temps, nous

abordons certains rôles avec une meilleure compréhension du personnage”. Elle fait ressortir le timbre velouté de sa voix avec des prises de notes délicates aux aigus francs mais harmonieux. Le récitatif ” E Susanna non vien” suivi de l’air “Dove sono…” est empreint d’inquiétude, d’une souffrance mesurée mais surtout d’une grande délicatesse. Une prise de rôle réussie d’une grande intelligence musicale.
Anne-Catherine Gillet est une
Susanna pétulante, fine mouche elle se sort avec grâce de toutes les situations. Très à l’aise scéniquement, elle l’est aussi vocalement, où sa voix claire et projetée fait ressortir style et
legato dans un “Deh vieni no tardar” délicat aux aigus affirmés. Aussi mélodieuse dans son air que dans ses duos avec la
Comtesse, sa voix prend plus de caractère dans ses échanges avec
Figaro. Pour sa prise de rôle
Antoinette Dennefeld donne à
Cherubino un rôle de tout premier plan où son “Non so più” fébrile prend une dimension très réaliste. Mais accents plus sensibles pour un “Voi che sapete” chanté dans une voix sonore d’une grande justesse. Cette intelligence du chant liée à un grand sens de la scène fait ressortir
Cherubino dans la moindres de ses interventions. Etonnante
Marie-Ange Todorovitch qui passe de
Clytemnestra (Elektra) ou
Dame Marthe (Faust) à cette
Marcelline amusante avec une justesse d’interprétation aussi bien scénique que vocale et où sa voix de mezzo-soprano bien placée nous donne des aigus sonores mais maîtrisé
s. Jolie
Barbarina de
Jennifer Courcier qui apporte jeunesse, vitalité et fraîcheur de voix à ce rôle qui demande rythme et mise en place. Dans ce
cast très homogène où chacun a l’âge du rôle,
Christian
Federici est un
Comte Almaviva relativement jeune. Séducteur, certes, mais avec moins de virulence. Déstabilisé par tous ces quiproquos il en devient presque touchant. De l’allure, un bon jeu scénique et une voix de baryton au timbre onctueux. Une bonne diction projetée donne de la force à son propos dans un joli style où nuances et respirations respectent le phrasé. Chanté seul en avant-scène, son air “Hai gia vinta la causa” laisse percer ses doutes et ses changements d’humeur. Un
Comte touché par l’affection de la
Comtesse qui nous séduit. Séduisant aussi, le
Figaro de
Mirco Palazzi aux graves profonds. Un jeu juste sans excès et une voix aux inflexions qui donnent du rythme. Sa grande connaissance du style lui procure cette aisance qui autorise de belles nuances tout en gardant au personnage son caractère. La basse italienne est un
Figaro qui donne du relief à ses airs, ainsi “Se vuol ballare signor contino” ou “Non più andrai…” chantés avec les changements d’humeur mais dans une

belle rondeur de voix.
Marc Barrard est un
Bartolo dont la voix de baryton-basse bien placée sonne avec justesse dans un joli style projeté, en accord avec le plateau, ainsi que le
Basilio de
Raphaël Brémard dont la voix de ténor donne un
Basilio insidieux et amusant. En place et juste vocalement le
Don Curzio de
Carl Ghazarossian et amusant le rôle d’
Antonio dans la voix de
Philippe Ermelier. Dans des interventions courtes, le Choeur de l’Opéra de Marseille tient sa place avec le professionnalisme et l’homogénéité de voix que nous lui connaissons. Toujours bien préparé par
Emmanuel Trenque les attaques sont précises et font montre d’un grand investissement.
Mark Shanahan était à la baguette pour une interprétation tout en nuances, trouvant des sonorités suaves avec la rondeur de son des timbales baroques ou des cors anciens. Même si l’on trouve les
tempi un peu lents, on apprécie les sonorités de l’orchestre, sa grande précision et la vélocité du quatuor dans un joli style, qui ne couvre jamais les chanteurs. C’est cette homogénéité de style, scène, plateau et orchestre qui fait de ces “Nozze” un succès, avec un piano-forte joué avec musicalité par
Néstor Bayona. Photo Christian Dresse