
En programmant
Rigoletto, l’opéra de Giuseppe Verdi en ouverture de saison, l’Opéra de Toulon était certain de remplir la salle. Cet opéra, le dix-septième composé par Verdi et créé à Venise le 11 mars 1851, fait partie de sa trilogie populaire avec
Il Trovatore et
La Traviata. Quelques différents avec la censure autrichienne obligeront le compositeur à modifier légèrement le livret et, malgré certains propos acerbes venus de la critique relevant des incohérences, cet opéra rencontrera rapidement un succès populaire. Prenant quelques distances avec
Le Roi s’amuse (drame de Victor Hugo), Francesco Maria Piave en suit les grandes lignes. Victor Hugo, lui-même, le considérera comme un plagiat. Si l’amour filial est porté jusqu’à certaines extrémités, trahisons et vengeances sont les sentiments qui marquent cet ouvrage traversé par la malédiction. La mise en scène d’
Elena Barbalich, italienne comme toute l’équipe de la régie, nous propose un
Rigoletto assez particulier mais assez cohérent dans sa conception. Une bonne direction d’acteurs mais dans un espace assez réduit, le décor utilisant une grande partie de la scène. Un parti pris de la metteur en scène ? Il en résulte un effet d’étouffement, effet renforcé par les lumières réglées par
Fiametta Baldissieri qui restent constamment dans une demi-obscurité gommant tout relief et enlevant une certaine dimension scénique, mises à part quelques étranges

lumières dorées. Les décors de
Tommaso Lagattolla modulables, et ressemblant à des échafaudages de fer, servent de parois, de portes et contiennent même l’habitation de
Sparafucile. La salle de bal du premier acte est de la même veine, sombre, avec quelques rayons lumineux qui éclairent des corps de femmes dénudées, comme exposés en hauteur sur des étagères – allusion à la vie dissolue du duc de Mantoue et de sa cour. Tommaso Lagattolla signe aussi les costumes qui, tout en étant stylisés n’ont rien de révolutionnaire ni de très agréable à l’oeil non plus. Les courtisans sont tout de noir vêtus portant fraises blanches. Costumes noirs aussi et lampes frontales pour l’enlèvement. Que dire ? Tout est noir, des vêtements du
duc de Mantoue au long manteau à capuche de
Sparafucile. Etrange le costume de
Rigoletto, peut-être en cuir marron avec bosse amovible en piques de hérisson. Seules les femmes sont épargnées et portent des robes seyantes. L’idée de cette production ? Le programme de salle ne nous éclairant pas, nous la cherchons encore. Un plateau homogène où les voix, sans êtres éclatantes font ressortir une grande musicalité restent appropriées à cette atmosphère intimiste.
Francesco Landolfi 
est un
Rigoletto qui sait faire ressortir les émotions et les sentiments qui l’habitent. Loin des effet scéniques qui donnent à son rôle la dimension qui en fait le personnage principal, Francesco Landolfi se fond dans cette mise en scène, s’appuyant sur sa technique, la beauté du timbre de sa voix et une souffrance plus intériorisée. Il passe d’un duo assez vif avec
Gilda “Figlia ! …Mio padre” à plus de gravité dans la
cabaletta “Veglia, o donna, questo fiore”. Plus appuyé est son Air “Cortigiani, vil razza dannata” sombre, vengeur, avec un “piango” très émouvant, accompagné par le violoncelle. Très marquée et expressive aussi, la
cabaletta de la “vendetta”. Peu mis en valeur par son costume et la mise en scène, le baryton italien saura marquer le personnage par son intelligence musicale, le
legato de ses phrasés et la sensibilité contenue dans sa voix et son interprétation ; toujours poursuivi par un sombre “Quel vecchio maledivami !”. Parfois inégal,
Marco Ciaponi est un
duc de Mantoue qui nous offre de bons moments ; sensibles avec un joli phrasé dans le duo du premier acte avec
Gilda “E il sol dell’anima” ou plus éclatants dans sa
canzone “La donna è mobile” qu’il chante dans une voix claire, projetée avec des aigus solides. Joli aussi, le quatuor “Bella figlia del amore” où sa voix passe sans forcer. Peu avantagé lui aussi par son costume et la mise en scène, le ténor italien, avec intelligence et de belles intentions musicales, tire son épingle du jeu pour une prestation réussie.
Dario Russo prête sa voix grave et inquiétante à
Sparafucile. Bien dans son jeu, bien dans sa voix de basse, il impose son personnage en faisant ressortir la noirceur de ses notes graves et l’intensité contenue dans sa voix. Grave aussi est la voix de la basse georgienne
Nika Guliashvili. Une voix pleine, solide et sonore qui s’impose dans le rôle du
comte Monterone, appuyée par une belle puissance scénique. Superbe interprétation de la
Gilda de
Mihaela Marcu au physique agréable et à la voix fraîche et joliment timbrée. Après le
duetto avec le
duc “E il sol dell’anima” chanté avec spontanéité, elle nous ravit avec un “Caro nome” aux nuances délicates et au
staccato cristallin. Sa belle technique lui permet des respirations appropriées et des aigus bien amenés. La soprano roumaine chante avec tendresse et musicalité dans le joli duo “Tutte le feste al tempio” chanté avec
Rigoletto. Charmante, émouvante, sachant, avec sa voix, faire passer ses sentiments, le peu d’espace scénique lui importe peu, la beauté de

la voix et du phrasé touche au coeur et reste dans le souvenir. Dans cette distribution homogène l’on retient la chaleur du mezzo-soprano de
Sarah Laulan qui campe une
Maddalena expressive et convaincante dont la voix sombre se fait aussi remarquer dans les trio et quatuor du troisième acte. Nous apprécions aussi la voix profonde de
Nona Javakhidze (
Giovana)
ainsi que celle d’
Alice Ferrière (
La comtesse Ceprano). Le ténor
Vincent Ordonneau (
Matteo Borsa), le baryton
Mikhael Piccone (
Marullo) et le baryton-basse
Federico Benetti (
comte Ceprano) complètent avec bonheur cette distribution. Il faut aussi noter l’interprétation et l’impeccable tenue du Choeur d’hommes de l’Opéra de Toulon, très bien préparé par
Cristophe Bernollin. Ensemble parfait, justesse scénique et homogénéité des voix donnent du relief à cette représentation. A la baguette, le chef d’orchestre
Daniel Montané. Beaucoup de mesure dans sa direction ; alternant les
tempi avec précision, vif, allant plus lent, il nous donne une version tonique qui diminue un peu l’effet sombre du visuel. Laissant sonner un peu trop fort l’orchestre, Daniel Montané se reprend très vite pour suivre les chanteurs avec beaucoup d’attention. “La tempête” est jouée avec relief, et l’accompagnement du dernier duo
Gilda/Rigoletto avec une grande émotion. Un orchestre à l’écoute et aux belles sonorités. De longs et fournis applaudissements avant que le rideau ne se ferme sur cette ouverture de saison qui a conquis un public toujours plus nombreux.
Photo Frédéric Stéphan