Opéra en trois actes, livret de Giuseppe Adami et Renato Simoni, d’après la pièce de Carlo Gozzi

En ce début d’année, l’Opéra de Toulon présente
Turandot, après plus de dix ans d’absence sur cette scène, et l’on peut dire que ce spectacle est on ne peut plus réussi. Dès les premiers accords l’émotion est au rendez-vous. Giacomo Puccini étant décédé avant d’avoir composé la fin de son opéra, d’autres compositeurs ont terminé l’ouvrage. C’est la version Luciano Berio qui nous est proposée ici. Certes moins joué, le final de Luciano Berio sera représenté pour la première fois à l’Opéra de Los Angeles le 25 mai 2002, la composition de Puccini s’arrêtant à la mort de
Liù.
Turandot est un opéra puissant qui demande des voix solides mais aussi une grande expression théâtrale. Ce conte cruel est ici traité avec beaucoup d’intelligence par
Federico Grazzini et son équipe. Un décor unique conçu par
Andrea Belli, minimaliste, loin des surcharges orientales, mais dont l’impact émotionnel est très fort. Une paroi noire en demi-cercle coupée par une galerie où évoluent les artistes, une porte au fond qui s’ouvre sur la lumière et une trappe par où descendent les condamnés dont les têtes rondes sont comptabilisées par les trois ministres. Le metteur en scène joue sur les oppositions. La bonté s’oppose à la cruauté, la lumière à l’obscurité, la lune au soleil, le yin de la princesse de glace tente de s’opposer au yang d’un
Calaf enflammé par l’amour. Des oppositions qui se complètent pour se transformer faisant référence à la philosophie et la cosmologie chinoises. Dans ce propos cohérent, les costumes de
Valeria Donata Bettella sont tout à fait appropriés. Le somptueux manteau couleur bronze que porte
Turandot efface toute fragilité féminine. En long manteau rouge, l’empereur apparaît stylisé, hiératique et les

personnages du Choeur tout de noir vêtus et aux crânes rasés se fondent dans le décor. Seuls les trois ministres apportent une sorte d’humour dans des costumes colorés et décalés ; les vêtements de
Calaf, Liù et
Timur restant dans des couleurs neutres. C’est très bien pensé, sans aucune faute de goût.
Patrick Méeüs chargé d’éclairer les scènes fait un travail remarquable. Les teintes passent du bleu nuit au jaune plus solaire, du rouge sanglant au blanc glacial sur les vidéos superbes de
Luca Scarzella qui projettent des astres dorés, l’ombre démesurée de l’empereur ou celles de danseuses se mouvant. La chorégraphie de
Marta Iagatti anime avec intelligence certains moments évitant des scènes trop statiques. Au niveau des voix, ce sont des découvertes et d’agréables surprises. Pour
Turandot, le soprano dramatique de
Gabriela Georgieva fait ici merveille, solide avec une facilité d’émission qui lui permet de passer au-dessus d’un orchestre souvent très fourni. Des aigus percutants, puissants jamais criés qui restent colorés dans un vibrato mesuré. Pour ce rôle écrasant, la soprano bulgare impose son personnage et sa voix parfaitement maîtrisée avec une grande présence et une justesse d’expression remarquables. Superbe ! La soprano
Adriana Gonzalez, plus lyrique garde une rondeur d’émission dans chaque phrase rendant sa voix touchante sur une belle longueur de souffle. Elle marque le rôle de
Liù par la beauté du timbre de sa voix et des aigus pleins ou plus légers en demi-teinte. Sa mort reste un moment d’émotion et de musique pure. Face à la terrible
Turandot, il fallait un solide
Calaf.
Amadi Lagha s’impose dans une voix claire mais pleine et sans aucune faiblesse. A l’aise scéniquement, il l’est aussi vocalement. Ténor vaillant mais d’une grande générosité vocale et expressive. Si l’aigu de son
“Nessun dorma” est éclatant, il a su aussi être tendre
dans “
Non piangere Liù” ou, modulant sa voix, faire ressortir les accents tragiques contenus dans la

musique. Il est à noter aussi le
Timur de
Luiz-Ottavio Faria dont la voix grave et le jeu juste donnent du poids au rôle, les trois ministres, avec la voix bien placée et le jeu amusant de
Frédéric Goncalves pour son
Ping, ainsi qu’
Antoine Chenuet (
Pang) et
Vincent Ordonneau (
Pong) pour un trio réussi très en place rythmiquement et vocalement. L’
Altoum d’
Olivier Dumait donne une certaine allure à cet empereur qui cherche à s’imposer. Il aura suffit de deux phrases à
Sébastien Lemoine pour donner du relief au
Mandarin dans une voix colorée et projetée. Impressionnant le Choeur de l’Opéra de Toulon bien préparé par
Christophe Bernollin. Avec précision, des attaques précises ou plus nuancées et une grande homogénéité vocale, les artistes du choeur apportent relief et expression dramatique à ce spectacle. Belle intervention de coulisse des membres de la Maîtrise. L’orchestre de l’Opéra de Toulon sous la baguette de
Jurjen Hempel, directeur musical depuis septembre dernier, semble avoir pris ses marques avec son chef d’orchestre. Très réactif à ses demandes, il épouse les inflexions musicales voulues par Jurjen Hempel, très proches de la partition de Giacomo Puccini jusque dans le final écrit par Luciano Berio. Exotique par moments avec sa séries de gongs, mais toujours rythmée, nuancée, cette interprétation peut se faire lyrique ou plus orchestrale avec de grands
fortissimi, mais toujours avec un grand respect des voix. Un spectacle réussi dans ses moindres détails, d’où jaillit une grande force émotionnelle et visuelle. un grand bravo !
Photo ©Frédéric Stéphan