Dramma lirico en quatre actes, livret d’Arrigo Boito, d’après William Shakespeare

L’
Otello de Giuseppe Verdi présenté à l’Opéra Bastille cette saison avec une distribution très prometteuse c’est avéré somme toute assez décevant. Etait-il bien nécessaire de reprendre cette production créée en 2004, reprise en 2011 et qui n’avait déjà pas déchaîné l’enthousiasme ? Nous ne retrouvons pas ici les sentiments exacerbés et la manipulation insidieuse qui sont l’essence même de ce drame. Le metteur en scène
Andrei Serban ne fait pas preuve d’une grande originalité ni d’une grande puissance narrative non plus. Pourtant le premier tableau, très réussi, où les vagues, sous l’effet de la tempête, venaient s’écraser sur le port noyant presque la foule, toute de noir vêtue, venue acclamer son héros, laissait présager une suite puissante et dramatique. Mais la suite se délite;
Peter Pabst imagine pour tout décor des murs, des arcades que l’on déplace et un palmier omniprésent, nous transportant plus aisément dans une ville du Maghreb que dans l’île de Chypre. Décor dépouillé donc : un grand bureau de style côtoyant un canapé rouge sans style laisseront place au dernier acte à un grand lit blanc et une petite coiffeuse blanche aussi. Aux acteurs donc de créer le mystère ou l’atmosphère oppressante. L’effet du feu de joie est produit par un haut tissu qui se tord sous la poussée de la flamme orange, mais tout cela fonctionne mal. Sans doute les lumières signées par
Joël Hourbeigt donnent-elles du relief à l’ensemble : latérales ou en contre-jour, plus bleutées pour un duo d’amour éclairé par la lune, ou plus éclatantes pour l’arrivée de
Lodovico, l’ambassadeur du Doge, avec un déploiement de banderoles colorées d’un joli effet. Peu de cohérence enfin dans les costumes créés par
Graciela Galan.

Mélangeant les longues robes, peut-être XIXe, que portent les dames pour la réception de
Lodovico aux costumes militaires assez disparates, Graciela Galan met
Desdemona en valeur dans de superbes robes seyantes et des déshabillés blancs d’une grande féminité. Rien par contre qui donne une grande prestance à
Otello : costume blanc, sarouel noir. Dommage ! Dès les première notes
Roberto Alagna impose son
Otello dans un “Esultate !” aux aigus puissants. Annoncé souffrant pour la générale, il n’y paraît rien dans le duo d’amour où “Ancora un bacio” chanté avec sensibilité fait fondre le coeur de
Desdemona, ou un “Già nella notte densa” chanté avec conviction de façon percutante sur un beau solo de violoncelle. Si les aigus sont là, tenus, colorés, avec cette fougue qu’on lui connaît dans des colères crédibles, Roberto Alagna doit puiser dans ses réserves pour des graves plus incertains où la fatigue se ressent. Artiste complet, musicien jusque dans ses respirations, l’homme de théâtre réussit à transgresser ses faiblesses en jouant sur les sentiments et l’émotion d’un
Otello anéanti, rendant avec sincérité cette fin dramatique. C’est sans doute la
Desdemona d’
Aleksandra Kurzak qui remportera

tous les suffrages. Le physique et la voix du rôle, mais aussi la sensibilité et la douceur d’une amante qui ne comprend pas les accusations de son mari mais qui pardonne par amour. Une musicalité à fleur de lèvres, des aigus sûrs et mélodieux, des graves maîtrisés et un phrasé qui reste onctueux. Notes tenus
pianississimo et un jeu tout en retenu. Sa “chanson du saule” aussi bien que son “Ave Maria” chantés dans une délicatesse et une ferveur extrêmes forcent l’admiration. Aleksandra Kurzak transcende cette
Desdemona et laisse flotter un parfum de merveilleux après elle. Assez décevant est le
Jago de
George Gagnidze. Un physique, une voix mais un jeu d’une grande platitude, loin des subtilités de ce manipulateur. Même son “Credo”, chanté tenant un crâne dans la main devant le rideau baissé ne parvient pas à impressionner. La voix est puissante, mais sans grand phrasé ; c’est sans doute dans le
piano que la voix tend à s’adoucir dans un
legato plus abouti. On aurait aimé un
Jago plus inquiétant, plus fourbe, avec plus d’inflexions dans la voix. Mais le beau duo, aux voix équilibrées, chanté avec
otello à la fin du deuxième acte procure une certaine tension.
Frédéric Antoun est un
Cassio crédible, dont la voix de ténor est projetée avec clarté dans une belle diction. Investi dans son rôle, il apporte, avec

justesse, vigueur et détermination. Déterminé aussi
Alessandro Liberatore pour un
Roderigo sonore dont la voix de ténor, bien projetée donne du relief au personnage. Le manque de direction des acteurs rend le
Lodovico de
Paul Gay un peu statique, mais très en place, il arrive, avec ses graves de basse et une certaine prestance, à imposer son rôle d’ambassadeur du Doge. On note aussi la présence scénique et vocale de l’
Emilia de
Marie Gautrot. Vocalement bien aussi, le
Montano de
Thomas Dear et l’
Araldo de
Florent Mbia. Le Choeur de l’Opéra de Paris préparé par
José Luis Basso fait preuve d’un réel investissement avec un “Fuoco du Gioia” très rythmé, un “Viva !” sonore ou des interventions de coulisse chantées dans des voix homogènes. Belle justesse pour le Choeur d’enfants de L’Opéra national de Paris et la Maîtrise des hauts-de- Seine très en place.
Bertrand de Billy, après des accords sonores et prometteurs, déçoit par une direction inégale malgré un orchestre à l’écoute. Un certain manque de soutien des chanteurs et du choeur donne quelques incohérences dans la ligne musicale et enlève un peu du dramatique de l’ouvrage. L’on apprécie toutefois l’homogénéité générale des sonorités, l’impression inquiétante rendue par le pupitre de contrebasses, les interventions des solistes et la clarté des trompettes de coulisse. Une représentation très applaudie qui manque tout de même de force et de panache.
Photo Charles Duprat